Une gentillesse non méritée - ft. Song Ji Han

━◦❖Profiter du calme, du silence et d’une tranquillité rare. Les dortoirs, aussi confortables soient-ils, n’avaient pas la réputation d’apporter cette forme de sérénité, bien au contraire. Ainsi, il était devenu coutumier pour la sorcière de s’échapper de ces murs pour profiter d’un moment de plénitude pur. La solitude, demeurait-elle si salvatrice que cela ? Pas véritablement. Mais à force de l’avoir pour seule amie, Eun-Jin avait fini par s’habituer de cette relation privilégiée avec cette dernière. Un léger soupir s’échappant de ses lippes tandis qu’une brise effleura sa peau. Il n’y a pas à redire... La nature savait accueillir même les âmes les plus solitaires. Cette simple réalité parvint à arracher un sourire à la jeune femme. Un rictus pourtant rarement présent sur son visage. Même si elle était née avec une cuillère en or dans la bouche, la vie ne l’a pas épargné de différents tumultes. Notamment le manque d’amour parental et fraternel également. Tout comme elle s’était habituée à la solitude, l’indifférence ne lui faisait plus rien. Bien qu’un maigre espoir de faire la fierté de sa famille continuait de résonner dans son esprit. Croire en ses rêves était une chose, parvenir à faire admettre leurs torts à ses parents... en étaient une autre.

Enfin... La sang-pure n’eut pas vraiment le temps de continuer son introspection puisqu’elle fut interrompue par une voix qu’elle ne connaissait que trop bien... La famille Song a toujours été très proche des Kim... Les diverses rencontres et moments passés ensemble finirent par démontrer une forme d’amitié entre les deux familles. Bien entendu, devant le regard parental... Eun-Jin se montrait irréprochable, mais une fois les yeux détournés, elle laissait place à son caractère plus revêche et bien moins avenant... Les enfants Song le savaient sans doute mieux que quiconque... Notamment Ji Han qui ne l’a jamais lâché. Ils avaient le même âge et pourtant... Tous les opposent, autant au niveau du caractère que des ambitions. La sorcière n’a jamais compris pourquoi il s’acharnait à se montrer si gentil et jovial avec elle... Elle n’a certainement jamais mérité ses attentions et encore moins sa douceur. Il était rayonnant, affable, joviale et pétillant... Tout ce qu’elle ne sera jamais. Jalouse ? Envieuse ? Vous n’imaginez pas à quel point... Il était semblable au soleil qui brillait dans le ciel, une source de chaleur et de réconfort indispensable. Tandis qu’elle n’était que froideur et amertume dissimulée.
Quand il s’adressa à elle... Le pauvre eut le droit à un fusillement du regard. Depuis leur première rencontre... La sang-pure n’a eu de cesse de le traiter avec distance. Elle s’étonnait encore de sa persistance... Voyait-il sa détresse au point d’en avoir pitié ? Ce simple songe l’enrageait davantage. L'humiliation quotidienne de sa mère, de son père ou même de son frère pouvait être supportée... Mais le mépris d’autrui était inacceptable. Ainsi, elle ferma brusquement son livre, claquant les malheureuses pages avant de demander d’un ton agacé.

- Ne vois-tu pas que je suis occupée ? Tu n’as pas des mourants à tenter de sauver plutôt que de venir m’étaler ta pitié sur la figure ?

De mauvaise humeur ? Pas exactement... Mais son doux sourire n’avait de cesse de lui rappeler leur différence. Son dégoût d’elle-même ne faisant que croître alors qu’il était pourtant si gentil avec elle.

- Ou alors, j’ai l’air d’être à l’article de la mort pour que tu me donnes le privilège d’être en face de moi ?  

Non... Elle n’aimait pas particulièrement se montrer aussi cruelle et méchante. Mais c’était pour son bien à lui... Il perdait son temps en restant à ses côtés, il en gagnerait davantage à être avec ses vrais amis ou en présence de personnes qui méritent son sourire.

❖ 15.04 Ji Han n’avait rien contre les cours en général, mais ceux qui nécessitaient de rester enfermé dans une salle pendant bien trop longtemps étaient parfois barbants et lui donnaient l’impression d’étouffer. Surtout le cours d’histoire de la magie. Ji Han détestait ce cours, à chaque fois, il devait lutter pour ne pas piquer du nez. Il ne voudrait pas entacher son image de parfait petit étudiant, toujours parmi les meilleurs. Et surtout, il ne voudrait pas pénaliser sa maison en perdant des points parce qu’il se serait assoupi en cours. Son chat à ses côtés, le jeune homme partit donc en balade, dans un coin plus agréable que les vieilles salles qui sentaient le renfermé. Il aimait bien venir dans ce coin-ci car ça donnait presque l’impression d’être à l’extérieur. C’était vert, ça sentait bon, c’était frais. Oui, bon, on a compris. De bonne humeur, Ji Han arborait un sourire constant, le tout en chantonnant un petit air qu’il appréciait. De toute façon, il était rare qu’il soit de mauvaise humeur. Il fallait vraiment qu’il se soit passé quelque chose de pas cool du tout pour qu’il soit de mauvais poil. Ou qu’il soit malade. Il détestait être malade, ça le rendait grognon. Mais il paraissait qu’il restait mignon, malgré tout. Tss !

Quelques instants plus tard, son regard s’arrêta sur une silhouette qui lui était bien familière. Eun-Jin. La jeune femme et lui se connaissaient depuis presque toujours. Pourtant, ils n’étaient pas très proches, même si Ji Han ne demandait que ça. Il avait rapidement remarqué qu’Eun-Jin était souvent seule, dans son coin, qu’elle ne semblait pas avoir d’amis. Alors, il avait voulu lui parler, devenir son ami et faire ce que faisaient les amis : la soutenir, l’encourager, être là pour elle, tout simplement. Cependant, la jeune sorcière s’était toujours montrée froide et distante envers lui, parfois même assez exécrable. Malgré tout, Ji Han n’avait jamais abandonné et il n’était pas près de le faire. Il savait que cette solitude et cette attitude cachaient autre chose, un certain mal-être, peut-être même un appel à l’aide. Alors, peu importe si elle râlait, elle ne se débarrasserait pas de lui de si tôt. Avançant vers elle, son sourire s’agrandit et il lui adressa même un grand signe de la main. « Helloooo ! » Pour la discrétion, on repasserait. « Comment tu vas, aujourd’hui ? » Il n’eut droit qu’à un ton agacé en guise de réponse, ton dont Ji Han avait – hélas – l’habitude. Il ne s’en formalisait plus vraiment.

Toutefois, lorsqu’elle parla de pitié, Ji Han afficha un instant un air surpris. Il ne comprenait clairement pas pourquoi elle disait ça. « Hein ? Pourquoi j’aurais pitié de toi ? » Il fronça les sourcils, vraiment, il ne comprenait pas. « Tu peux pas dire un truc sympa, pour changer ? » Il croisa les bras, puis s’installa à côté d’elle sans lui demander son avis. « Tu estimes que ma présence est un privilège ? Pourquoi ? » Était-il sérieux ou vraiment ignorant à ce point ? En tout cas, oui, il avait beaucoup de mal à comprendre la jeune femme. « Allez ! Fais-moi un joli sourire, pour changer ! » L’avait-il déjà vue sourire, d’ailleurs ? Il n’en était même pas certain. « Tu lis quoi ? » Curiosité oblige.

━◦❖ Il semblerait que ses tentatives de le faire fuir... Furent toutes vaines. La volonté ainsi que la persévérance du sorcier étaient... Impressionnantes. C’était presque à se demander s’il n’y avait pas une légère forme de masochisme. Ou bien, le jeune homme était parvenu à voir au-delà de ce que la sang-pure laissait transparaître. Un si violent rejet devait nécessairement s’accompagner de quelque chose, ou tout simplement... En dissimulait une autre. L’un allait sans l’autre. Pour le plus grand désarroi de la demoiselle qui s’était toujours montrée particulièrement odieuse avec lui. Cela ne lui plaisait pas, elle n’aimait pas le comportement qu’elle adoptait. Pourtant, il était nécessaire, aussi cruel soit-il.

Ji Han échangeait ce qu’elle appelait communément “des platitudes”. Alors qu’il se montrait simplement poli et courtois. Preuve d’une bonne éducation et surtout d’un désir d’être agréable. Cette jovialité manquait douloureusement à Eun-Jin qui s’était contenté de l’expédier sur les roses sans répondre à sa politesse. De toute évidence, qu’aurait-elle pu répondre ? “Non, ça ne va pas mais laisse moi en paix” ? Sûrement pas, son orgueil et sa fierté en auraient pris un coup significatif. Ainsi, elle s’était contentée de soupirer en tournant la tête à son opposé. Comme pour fuir la situation, mais surtout pour ne pas croiser son regard. Craignant les réponses qu’elle pourrait ne pas apprécier.
En parlant de ces dernières... Les questions fusèrent. Pourquoi ceci, pourquoi cela... Pourquoi ne lui dirait-elle pas quelque chose de plus agréable... En quoi est-ce un “honneur” d’être à ses côtés. Un florilège d’interrogations dont elle ne souhaitait pas la réponse. La seule chose qu’elle retint... fut la demande de lui adresser un sourire. Puis quoi encore ? Sa tête se tourna aussitôt et le regard assassin qui suivit ne laissa pas de place à la douceur.

- J’ai l’air d’avoir le rictus facile ? Et encore plus le désir de changer ? Je suis très bien telle que je suis actuellement.  

Mensonge éhonté. Mais elle-même y croyait. Enfin... Là n’était pas la question. Finalement, il lui demanda ce qu’elle lisait. Malgré elle... Un sourire s’étira sur ses lèvres, plus par narquoiserie que par désir de lui faire plaisir. Ce fut si naturel qu’elle ne s’en rendit pas compte sur le coup.

- Un codex sur les divers textes de loi. Une lecture trop érudite pour toi, tu bailles déjà aux corneilles pendant les cours d’Histoire de la Magie. Je n’aurais même pas besoin de t’assommer physiquement avec, lire quelques lignes t’enverrait déjà dans les bras de Morphée.  

Moqueuse ? Clairement, elle ne s’en cachait pas. Même si pendant toutes ces années, elle lui a témoigné de la froideur et s’est montrée glaciale... Eun-Jin retenait ce qu’elle voyait et entendait. De ce fait, elle savait les passe-temps, les loisirs, les choses que Ji Han pouvait apprécier et surtout ce qu’il lui déplaisait. Oui, la sorcière était pleinement dans le déni sur beaucoup de points, mais... nul doute qu’elle se montrait attentive, preuve qu’elle avait de l’estime pour les Song.

❖ 15.04 Ji Han observa un instant la jeune femme d’un air surpris, voire qui trahissait une certaine incompréhension. Sans doute s’était-il mal exprimé et il n’aimait clairement pas ça. Il détestait les malentendus. Il n’y avait évidemment rien de grave, mais il ne voulait pas que la jeune femme pense qu’il voulait qu’elle change. « C’est pas ce que je voulais dire… je te demande pas de changer. Tu es très bien comme tu es ! Juste…depuis le temps qu’on se connait, je t’ai rarement vue sourire et je trouve ça dommage… » Très dommage, même. Car de ce qu’il avait pu voir – ou entre-apercevoir – elle avait un très joli sourire. D’ailleurs, celui qu’elle finit par esquisser, suite à sa question concernant sa lecture, ne semblait pas réellement sincère. Cela ressemblait davantage à un rictus qu’autre chose. Ji Han avait toujours du mal à comprendre Eun-Jin, malgré les années. Pourtant, il avait envie de percer le mystère qui l’entourait, il avait envie d’en savoir plus sur elle. Cependant, elle semblait presque aussi fermée qu’une huître et le jeune homme ne savait pas trop comment s’y prendre. Il n’avait certainement pas l’intention de la forcer, ce n’était pas du tout son genre. Mais quelques encouragements de temps en temps ne faisaient pas de mal, si ?

Le jeune homme haussa les sourcils lorsqu’elle évoqua les cours d’histoire de la magie. « Tu m’observes pendant les cours ? » Un sourire amusé finit par apparaître sur ses lèvres. N’importe qui n’aurait probablement pas apprécié de se savoir observé, surtout dans des moments peu glorieux, mais étrangement, ça fit presque plaisir à Ji Han. Est-ce que ça signifiait qu’elle s’intéressait un peu à lui, finalement ? « Tu as raison, c’est sans doute pas le genre de lecture qui me passionnerait, mais je m’intéresse tout de même à ce que tu fais et ce que tu aimes ! » Il balançait ça comme ça, tout naturellement. Mais Ji Han était quelqu’un de spontané, de franc, mais aussi de totalement innocent qui ne réalisait pas toujours le double sens que ses paroles ou même ses actes pouvaient avoir. « Ça te dirait d’aller prendre un verre au village, le weekend prochain ? » Une invitation lancée en toute innocence. Il se doutait bien qu’elle refuserait, mais qui ne tente rien, n’a rien. Il n’avait certainement rien à perdre. « Ou…une petite balade en forêt ? Peut-être qu’on pourrait apercevoir des animaux ! » Ce serait plutôt cool, non ? En réalité, il avait juste envie de passer un peu de temps avec elle, en espérant la faire parler un peu plus. La plupart des gens semblaient juste l’éviter ou avoir perdu tout espoir la concernant. Mais pas Ji Han. Le bébé tigre était tenace.

━◦❖ Une fois de plus... Son altruisme exacerbé lui faisait défaut. Dans un désir de dissiper ce plausible malentendu, il tentait de justifier ses précédents propos. Ce lourd sentiment de culpabilité commençait à envahir la poitrine de la sorcière. Non, elle ne prenait aucun plaisir à le faire se sentir mal. Sa propre cruauté la rendait malade intérieurement. Cependant, elle ne pouvait pas se permettre de laisser entrevoir qu’elle s’en voulait. Ainsi, la sang-pure s’était contentée de hausser les épaules avec un brin de nonchalance. Devenue maîtresse dans l’art de dissimuler ses émotions, la comédie était devenue une seconde nature, un masque qu’elle portait en continu afin de se protéger du monde qui l’entourait.  Et même de ceux qui pouvaient lui apporter un sincère bonheur. A force de se méfier de tout le monde... Elle ne parvenait plus à dissocier les bonnes ou les mauvaises intentions. Du moins... Etait-ce l’excuse qu’elle se donnait en son for intérieur, le déni avait la dent dure la concernant.

Néanmoins... Eun-Jin commit une erreur significative en admettant avoir observé le jeune homme pendant les heures de cours. La constatation du sorcier la fit tressaillir et tiquer nerveusement. Détournant le regard, elle ne répondit pas à cette remarque. Son comportement suffisait aisément pour qu’il puisse avoir la réponse qu’il désirait. A quoi bon nier ? Tenter de se défendre serait semblable à s’empêtrer un peu plus dans cette vérité.
Par ailleurs, elle lâcha un énième soupir en relevant les yeux sur lui. Heureusement que c’était elle et pas une autre fille... Une demoiselle lambda aurait songé à une tentative de séduction peu subtile. La Kim savait mieux que quiconque qu’il ne s’intéresserait pas à elle. Après tout... La Koyangi ne s’estimait pas assez intéressante ou attrayante pour susciter la convoitise de qui que ce soit.

- As-tu conscience que la suite logique de tes paroles, mêlée à tes deux propositions aurait pu sous-entendre une invitation à un rencard ?  

Une tentative un peu mesquine de le mettre mal à l’aise ? Pas vraiment. Il s’agissait plutôt d’un conseil pour qu’il fasse davantage attention à la formulation de ses phrases. Pour sa part, elle ne prenait pas ombrage.  

- Je sais que ton innocence te joue des tours et te met dans des situations malaisantes. Sois plus prudent dans ta façon de t’exprimer, tu éviteras les plausibles malentendus avec les autres filles.  

Malgré tout, la demoiselle avait conscience qu’il ne démordrait pas. Ayant pu juger de la ténacité du tigre pendant ces nombreuses années, même si elle refusait aujourd’hui... Il y avait des chances que deux jours plus tard, la demande serait réitérée. Ainsi, elle rangeait son livre et se redressait.  

- Même si je te répondais négativement, tu tenteras une autre fois. Si tu désires tant que ça, de passer du temps avec moi, allons dans un endroit où personne ne nous verra. Je ne souhaite pas nuire davantage à ta réputation ou de ruiner tes plausibles fiançailles avec une sang-pure respectable.  

Ah... Enfin, elle crachait un peu plus le morceau sur les raisons qui justifiaient sa distance. Peut-être n’allait-il pas remarquer ou encore mieux... Cela pourrait lui passer au-dessus. Afin d’étayer un peu plus ses paroles, elle ajouta avec une certaine perplexité.

- Je ne comprends toujours pas pourquoi tu t’acharnes autant. Il n’y a rien chez moi qui ne mérite ton intérêt ni ta gentillesse.